L’Afrique vit un véritable paradoxe : alors qu’elle ne contribue que très faiblement aux émissions de gaz à effet de serre (GES), elle en subit d’importantes conséquences. En outre, le continent voit sa demande en électricité, très faible actuellement, augmenter de façon exponentielle.
De leur côté, les émissions mondiales de GES ont atteint 57,4 gigatonnes (équivalent CO2) en 2022. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, cela représente une augmentation de 62 % par rapport à 1990.
Dans ce contexte, la nécessité de développer l’électrification durable de l’Afrique est une évidence. Certains pays, tels que le Maroc, le Niger ou encore le Bénin, se sont d’ores et déjà engagés avec des objectifs ambitieux, notamment en matière d’énergies renouvelables, mais un effort collectif sans précédent est nécessaire.
Les défis du continent africain pour une électrification durable
Une augmentation de la demande inévitable
En Afrique, la demande d’électricité pourrait s’élever à près de 2 400 TWh d’ici 2040
Le continent africain connaît une forte augmentation démographique. Cette dernière est appelée à se poursuivre, accompagnée d’une hausse du niveau de vie moyen et d’un développement accru de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Autant de facteurs qui vont alimenter dans les prochaines années une hausse de la demande d’électricité.
Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), la consommation d’électricité de l’Afrique ne s’élève actuellement qu’à environ 730 TWh au total, c’est-à-dire à peine plus qu’un pays comme l’Allemagne. Cela renforce le paradoxe que vit le continent africain. Malgré une très faible participation aux émissions de gaz à effet de serre, celui-ci est le premier touché par les effets du réchauffement climatique (sécheresses, inondations, impacts sur l’eau et l’agriculture, etc). À ce titre, l’Afrique affiche, plus qu’ailleurs, d’importants besoins en électricité pour libérer son potentiel économique et améliorer les conditions de vie dans certaines régions. Cela passe notamment par le déploiement des serres agricoles et des stations de dessalement comme celle de Casablanca, au Maroc, par exemple..
Par ailleurs, le continent affiche une forte dépendance aux énergies fossiles – qui représentent 80% de son mix électrique – moins coûteuses et historiquement plus accessibles que les énergies propres. Pour une électrification véritablement durable, les anciennes centrales polluantes devront donc être progressivement remplacées par des sources renouvelables.
En conséquence, la demande en électricité devrait rebondir de 3 % en 2023 (après un léger recul), puis de 4,5 % en 2024 et en 2025. Néanmoins, c’est à plus long terme que la demande devrait vraiment augmenter. Dans l’un de ses scénarios, l’AIE table sur une progression jusqu’à 2 400 TWh pour le continent à l’horizon 2040 !
La demande mondiale en électricité augmentera de plus de 40 % dans les 20 prochaines années
Des facteurs comme la croissance démographique, l’urbanisation, l’expansion industrielle et le réchauffement climatique, se traduisent mécaniquement par une augmentation des besoins en électricité. D’après les chiffres de l’AIE, la consommation mondiale s’élevait déjà à 24 398 TWh en 2022, contre 8 132 TWh en 1981, soit trois fois plus. Et la tendance n’est pas à la baisse ! Le Conseil mondial de l’énergie prévoit une consommation supérieure à 40 000 TWh par an en 2040, soit une croissance de plus de 40 %.
Toutefois, le constat de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) est clair : pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5°C, nous n’avons pas le choix : les émissions annuelles de dioxyde de carbone (CO2) doivent baisser d’environ 37 gigatonnes par rapport à 2022 ! En outre, il faut que le secteur de l’énergie atteigne le zéro émission nette d’ici 2050.
Pour y parvenir, la solution consiste à sortir des énergies fossiles au profit d’une électricité décarbonée. Cependant, 1 000 GW d’énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien ou hydroélectricité) devront être déployés chaque année pour atteindre l’objectif. Or les nouvelles installations n’ont permis de fournir que 300 GW supplémentaires en 2022, ce qui ne suffira pas à absorber l’augmentation de la demande.
La part de l’électricité directe dans la consommation finale d’énergie est actuellement d’environ 22 %.
Dans le scénario idéal de l’Irena, elle atteindra 29 % en 2030 et 51 % en 2050.
La nécessité d’améliorer l’accès à l’énergie
Pourquoi faut-il améliorer l’accès à l’énergie ?
L’Afrique est le continent le moins électrifié. Pour bien comprendre la situation, il faut garder à l’esprit qu’environ 43 % des Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité chez eux. Bien que les chiffres varient d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre au sein d’un même pays, cela représente tout de même plus de 600 millions de personnes sur l’ensemble du continent. Naturellement, ce retard impacte la population (en matière de santé, d’éducation, de développement économique…). Pour la Banque Mondiale, cette situation s’explique notamment par l’augmentation des prix des matières premières qui a empêché les nouveaux raccordements de suivre le rythme de la croissance démographique.
Parmi les autres obstacles, on peut citer la vétusté des installations de production d’énergie, ou encore le manque de réseaux de transport et de distribution. Les systèmes existants tombent en effet souvent en panne et le réseau est instable, avec un fort impact sur le développement économique et l’inclusion numérique. Selon l’Irena, 41 % des entreprises souffrent de problèmes d’approvisionnement, ce qui engendre une baisse du PIB de l’Afrique estimée à 2 %.
Répondre à la problématique de l’exode
L’électrification rurale (via des systèmes autonomes et des mini-réseaux) permettra de développer les régions reculées et ainsi de stopper l’exode, ainsi que la désertification rurale, conséquences directes de pratiques agricoles inadaptées, des déforestations, etc. Il faut savoir que 80 % de la population privée d’électricité vit dans ces territoires.
Comment rendre l’électricité accessible et à un prix abordable ?
Pour proposer un kWh au juste prix, tout en accompagnant le développement économique, la clé réside dans l’innovation et la formation de personnels qualifiés. Il faut en effet dérisquer les investissements, renforcer et moderniser les équipements et les infrastructures réseau, mais aussi faciliter leur installation et leur maintenance, développer l’écoconception et le recyclage, mettre en place de nouveaux modèles de paiement, etc.
À ce titre, il est essentiel de sécuriser les approvisionnements dans les secteurs tels que le transport, l’industrie et le bâtiment. Comment ? En installant des câbles de forte puissance. Les câbles supraconducteurs, par exemple, permettent de transporter l’énergie où et quand il le faut, mais aussi en quantité suffisante, généralement dans les grandes villes et les agglomérations.
Développer l’économie circulaire, un impératif pour l’Afrique
Une chose est sûre : l’économie circulaire constitue un composant déterminant du développement durable et elle peut participer à la baisse du prix de l’électricité. Toutefois, sa mise en œuvre nécessite des investissements importants (construction d’usines, achat de véhicules, formation, etc) et l’émergence de filières locales, notamment de recyclage. C’est pourquoi il est important que tous les acteurs concernés – publics, privés, et internationaux – joignent leurs efforts pour développer ces filières via des partenariats stratégiques.
L’efficacité énergétique, condition sine qua non pour réussir l’électrification durable
Une électrification vraiment durable n’implique pas seulement le développement de sources renouvelables et de réseaux résilients, mais également l’optimisation des usages à travers l’efficacité énergétique des bâtiments et des équipements. Celle-ci se traduit par des objectifs de performances énergétique et la mise en œuvre de démarches pour les atteindre (isolation des murs et des toitures, intégration de systèmes de gestion intelligents, monitoring des consommations…). Pour l’Afrique, son amélioration est une nécessité. En effet, elle induit des économies d’énergie qui permettront de réduire le prix du kWh et de contenir la croissance de la demande en électricité (de 230 TWh en 2030 selon l’IEA, soit 30 % de la consommation actuelle).
Des projets collaboratifs au service de l’électrification
Pour faire face à ces défis, l’Afrique dispose d’un énorme atout : son potentiel en énergies renouvelables, plus important que celui des autres régions. D’après un rapport du cabinet Deloitte, celui-ci s’élevait, en 2023, à 10 TW de solaire, 110 GW d’éolien et 35 GW d’hydroélectricité. Reste que ce potentiel est encore largement sous-exploité. Seulement 2,7 GW de renouvelables ont été ajoutés sur le continent en 2023, pour un total de 473 GW à l’échelle du globe. À titre de comparaison, la Chine a déployé pas moins de 297.6 GW, soit prés de 63 % du total. Fin 2023, les capacités installées de l’Afrique, elles, étaient de 13,47 GW pour le solaire, 8,6 GW pour l’éolien et 37,82 GW pour l’hydroélectricité renouvelable, ce qui ne représente donc qu’une faible partie du parc mondial, estimé par exemple à 1 419 GW pour le solaire.
Selon les prévisions de l’AIE pour le marché africain de l’énergie, les choses devraient pourtant rapidement évoluer et une majorité des nouvelles sources d’énergie devrait être renouvelable en 2025. La production d’électricité durable, elle, devrait suivre le pas et augmenter de plus de 60 TWh. Elle atteindrait alors près de 30 % de la production totale d’électricité, contre 21 % en 2021.
Des objectifs ambitieux d’électrification durable
Plusieurs pays sont déjà engagés dans cette dynamique et mettent en œuvre des politiques volontaristes, montrant ainsi la voie au reste du continent. Disposant de près de 4,6 GW de capacités installées en renouvelable, le Maroc a annoncé le déploiement de 7,5 GW supplémentaires dans le cadre de son plan d’équipement électrique 2023-2027. La part des renouvelables dans son mix électrique devrait ainsi atteindre 52 % d’ici 2030.
Autre exemple avec le Niger qui s’est fixé dès 2018 des objectifs d’électrification ambitieux avec la signature du « Document de politique nationale d’électricité » et de la « Stratégie nationale de l’accès à l’électricité ». 80 % de sa population devra avoir accès à l’électricité en 2035 !
Comment financer le développement des énergies renouvelables ?
Pour atteindre ces objectifs, des investissements particulièrement importants sont nécessaires. Voici les différentes solutions permettant de les faciliter :
- Renforcement ou évolution de la réglementation et des lois (mise en place de systèmes de subvention gouvernementale pour les acteurs locaux, par exemple).
- Facilitation des aides extérieures, notamment via la création de programmes liés aux résultats. Par exemple, la Banque Mondiale propose des « Prêts-programme pour les résultats » à ses clients : les décaissements ne sont effectués que lorsque les résultats escomptés (définis avant la signature du contrat) sont atteints et vérifiés.
- Dans un rapport de la Banque Africaine de Développement, il faudrait entre 130 et 170 milliards de dollars par an pour développer les infrastructures en Afrique, soit un déficit d’environ 100 milliards de dollars par an à l’échelle du continent. Un accord a été signé en Juillet 2024 pour débloquer des investissements.
- Mise en œuvre de systèmes électriques combinant plusieurs technologies (photovoltaïque flottant et pompage-turbinage, etc.) et de systèmes hors-réseau adossés à des mini-réseaux renouvelables.
- Création de nouveaux modèles économiques et extension des partenariats de développement.
Parmi les initiatives existantes, on peut citer celles de Nexans Maroc. L’entreprise propose notamment des systèmes de câblage pour panneaux photovoltaïques clé en main. Cela permet de réduire le coût total de possession des centrales solaires et de réduire leur durée d’installation, limitant ainsi les montants d’investissement nécessaire.
Les partenariats, clés de voûte de la transition énergétique en Afrique
Pour répondre aux besoins de financement, mais aussi d’innovation, il faut également mettre en place des collaborations stratégiques entre les pouvoirs publics, les entreprises et le tissu associatif.
Prenons un projet ambitieux tel que la « Mission 300 » par exemple. Porté par la Banque Mondiale et la Banque africaine de développement, celui-ci vise à raccorder 300 millions de personnes à l’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030. Reste que, pour le moment, seuls 30 milliards de dollars ont été apportés, loin des 90 milliards nécessaires.
Des projets Nexans qui soutiennent la transition
De son côté, Nexans a orienté depuis longtemps sa stratégie en faveur du développement durable, avec d’excellents résultats : en 2023, ses émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 36 % par rapport à 2019. Pour cela, le groupe applique notamment l’approche « Local-for-Local » afin de servir une majorité de ses clients dans un périmètre de 1 000 km, ce qui permet de réduire l’empreinte CO2 et les coûts de transport.
En Afrique, où Nexans est présent depuis 1947, cette stratégie est portée par Nexans Maroc. À ce titre, l’entreprise a déjà noué plusieurs partenariats et lancé des projets collaboratifs. Elle joue un rôle clé dans l’électrification de l’Afrique.
C’est une des seules business units du Groupe qui fait non seulement des câbles, mais également des transformateurs et des projets clés en main.
Directeur de l’innovation, Nexans
Nexans Maroc a notamment mis en place des équipements de broyage et de séparation des métaux avec des entreprises locales. Une initiative qui permet de recycler 83 % des déchets de production. En outre, elle a lancé plusieurs initiatives telles que le « Nexans Climate Challenge ». Ce concours récompense les projets les plus prometteurs d’un point de vue socio-environnemental et il permet à l’écosystème de travailler en collaboration autour des startups. Parmi les vainqueurs de l’édition 2023, figure notamment MAG Power, un projet de stations électriques mobiles, reposant sur des batteries lithium revalorisables à 100 % et rechargeables par les énergies renouvelables.
Par ailleurs, la Fondation Nexans participe elle aussi à de nombreux projets collaboratifs en Afrique, par exemple pour la formation des jeunes dans les métiers de l’électricité avec l’IECD ou ACCESMAD, l’installation de panneaux solaires dans des centres de santé en Côte d’Ivoire ou encore le raccordement de centres hospitaliers au réseau de distribution électrique en RDC.
L’électrification durable est indéniablement un pilier essentiel de la transition énergétique de l’Afrique. Elle répond en effet simultanément aux enjeux cruciaux d’accès à l’énergie, d’efficacité énergétique et de maîtrise des coûts. Face à une demande en électricité en constante augmentation, le continent doit relever le défi de fournir une énergie propre, abordable et accessible à tous.
Les projets collaboratifs, soutenus par des financements innovants et des partenariats stratégiques, jouent un rôle déterminant. En unissant leurs forces, les acteurs publics, privés et internationaux peuvent transformer les ambitions d’électrification durable en réalité, permettant ainsi à l’Afrique non seulement de répondre à ses besoins énergétiques, mais aussi de se positionner en leader dans la lutte contre le changement climatique dont elle subit la première les conséquences.